Les dérives

Une approche originellement plutôt compatible avec la soutenabilité

Comme nous l'avons vu dans les parties précédentes, le Lean Management présente différents niveaux de compatibilité avec une approche soutenable :

  • Le concept d'élimination des gaspillages, des surcharges et des irrégularités (MUDA/MURI/MURA)

  • La philosophie originelle formalisée dans le Toyota Way

La cohabitation d'une diversité de pratiques

Le Lean est devenu en quelques années une approche incontournable dans le monde industriel. Sous cette dénomination, on observe une large diversité des pratiques, entre les organisations et au sein d'une même organisation, parfois contradictoires entre elles.

  • Les différentes générations cohabitent, chacune porteuse d'une culture professionnelle propre.

  • Chaque cabinet de consulting spécialisé en Lean crée sa propre méthodologie. Les consultants se succèdent parfois au sein d'une même organisation en mettant sur les mêmes mots des significations différentes.

  • Le Lean a inspiré des instanciations allant des démarches d'autonomisation forte du personnel pouvant aller jusqu'à l'entreprise libérée (exemple de FAVI) aux démarches d'amélioration permanente ultra standardisée, contrôlées et automatisée (Dans les coulisses d'Amazon France). De nombreuses entreprises formalisent leur propre instanciation de la démarche sous une appellation "corporate" afin de marquer leur spécificité.

1ère dérive : une interprétation limitante de la démarche originale

Une première dérive est intervenue lors de la transposition occidentale de la philosophie du Toyota Way qui en a éliminé la dimension humaine et la dimension sociétale pour n'en retenir que le gain de performance et la rentabilité économique.

2ème dérive : une mondialisation fondée sur la recherche du profit maximal

Le mode de mondialisation dominant actuellement prend en compte de manière secondaire les besoins des clients, du territoire d'implantation, d'une stratégie industrielle nationale, etc. Le principal critère à celui du "low-cost". Outre les problèmes politiques liés à la perte de la compétence et à la création de dépendance vis à vis d'autres pays, cette approche génère des flux de matière très conséquents, polluants et consommateurs d'énergie depuis l'extraction de la matière jusqu'au client final.

Cet éclatement du flux, bien qu’antinomique avec la suppression/réduction des mudas de transport et de déplacement, ne semble pas être vécu comme contradictoire par de grands groupes mettant en œuvre des démarches Lean au seins de leurs sites industriels.

3ème dérive : la financiarisation de l'économie

A l'origine, Toyota n'a pu s'engager dans cette démarche que grâce à ses capitaux propres. Aucun investisseur ou actionnaire n'aurait accepté d’accompagner une transformation aussi radicale et risquée.

Aujourd'hui, ces méthodes ayant fait leurs preuves, elles sont commanditées par les actionnaires avec une attente de rentabilité très forte à court terme souvent sous menace de fermeture du site industriel. Et même lorsque ces chiffres sont atteints, des sites performants peuvent être fermés pour délocaliser la production dans des pays à plus faible coût de main d’œuvre (Ex : fermeture du site Continental à Clairoix en 2008).

Cette financiarisation des entreprises s'oppose aux fondements même du Lean Management ainsi qu'à toute stratégie industrielle long terme. Elle est un frein monumental à l'engagement d'une organisation dans une démarche RSE.[1]

4ème dérive : le paradigme de la croissance

A partir du moment où l'objectif d'une entreprise manufacturière est de croître, cela ne peut tendre vers une diminution de sa consommation de ressource et d'énergie. Elle peut améliorer sa performance écologique par produit manufacturé mais si elle cherche à augmenter le nombre de ventes indéfiniment, son impact environnemental globale continuera à augmenter.

Cette dépendance à la croissance de l'ensemble de notre économie étant intrinsèquement liée aux modalités de production monétaire, il est difficile de s'y soustraire.